SCÈNE 6




VICTOR
le marin

VICTOR
le clochard
CLÉMENCE
la maitresse

Un banc, une crèche – un toboggan sous des guirlandes

CLÉMENCE

En toute humanité, chacun connaît le malheur à son échelle
Pour certains c’est la misère quotidienne, pour d’autres la ruine, d’autres encore la perte d’un enfant, ici la maladie, là un accident
Mais le pire c’est celui qui geint et se plaint d’une piqûre de guêpe, et qui se roule par terre de douleur et qui maudit le ciel du mauvais sort qu’on lui fait, et qui gratte sa plaie pour que surtout elle ne cicatrise pas et même qu’elle s’infecte, qu’elle suppure et qui l’exhibe en chouinant qu’elle est trop dure sa vie

VICTOR
se protège derrière Victor

Le malheur ne fait pas semblant avec moi
J’ai été abandonné
J’ai vu les horreurs de la guerre…

VICTOR

Les corps mutilés…

VICTOR

Les cadavres partout…

VICTOR

Les femmes…

VICTOR

Les enfants…

VICTOR

Et le bruit…

VICTOR

Et l’odeur

CLÉMENCE

Je t’offre mes bras aimants, une famille, un foyer
Et toi tu vas fuir

VICTOR

Non

VICTOR

Mensonge

VICTOR

Ce n’est pas vrai

CLÉMENCE

Je t’invite chez mes parents à partager le luxe de leur maison d’Athènes et la douceur de ma ville natale
Et toi tu vas fuir

VICTOR

Non

VICTOR

Absurde

VICTOR

C’est faux

CLÉMENCE

Je guette chacune de tes escales avec patience et obstination pour échanger un baiser
Et toi tu vas fuir

VICTOR

Non

VICTOR

Impossible

VICTOR

Insensé

CLÉMENCE

J’accepte de donner à notre fille le prénom de ton amour fantasmagorique Briséis
Et toi tu vas fuir

VICTOR

Non

VICTOR

Jamais

VICTOR

Pas une fois

CLÉMENCE

Si tu vas fuir
Samedi 19 mai 1984, à tes 18 ans, tu es majeur

VICTOR

Après les deux ans de service que je dois à l’école des mousses…

VICTOR

Il quittera la marine…

VICTOR

Pour vous retrouver à Athènes

CLÉMENCE

Mais tu rentres à Montmartre pour disposer de ta solde
Et tu choisis l’aventure

VICTOR

Avec cette fortune…

VICTOR

Il aura ouvert une pâtisserie…

VICTOR

Une jolie pâtisserie pour nourrir ma famille

CLÉMENCE

Tu m’écris une carte postale pour m’annoncer que tu enverras de l’argent pour notre enfant le temps de ton périple
Pas un centime reçu

VICTOR

J’aurais tout perdu

VICTOR

Il aura croisé des voleurs qui l’auront détroussé

VICTOR

J’aurais croisé des voyous qui m’auront dépouillé

CLÉMENCE

La carte représente une jeune fille tenant un nouveau-né dans les bras, seule devant les portes fermées de la Basilique du Sacré-Cœur

VICTOR

J’aurais acheté cette carte postale…

VICTOR

Au vide-grenier rue Caulaincourt…

VICTOR

À un photographe du Montmartre des années 60

CLÉMENCE

Postée le jeudi de l’Ascension 31 mai 1984, de la Poste des Abbesses

VICTOR

Avec un timbre à 4,00 francs « Utrillo Le Lapin Agile »…

VICTOR

Représentant le tableau du Lapin Agile…

VICTOR

Peint par Maurice Utrillo en 1910

CLÉMENCE
Tend sa main vide

Tiens prends-la cette carte, lis-la et relis-la comme je l’ai fait cent fois, mille fois, à travers les larmes, la gorge vidée de ses sanglots, pour dire à notre fille « Papounou reviendra… »
Mais gentil papa ne revient pas…
Gentil papa gratte ses plaies

VICTOR
reçoit la gifle destinée à Victor

Chère Clémence

CLÉMENCE

Alors je quitte Athènes et les Affaires étrangères avec Briséis sous le bras pour m’établir comme institutrice à Montmartre

VICTOR

Pardon

CLÉMENCE

Certaine que Victor y reviendra un jour

VICTOR

Je pars faire le tour du monde

CLÉMENCE

Et j’attends…
J’attends…

VICTOR

Je t’enverrai de l’argent

CLÉMENCE

Jusqu’à ce qu’un clochard mendie à la sortie de la messe de Noël sur le Parvis du Sacré-Cœur

VICTOR

Embrasse Briséis pour moi autant que tu peux

CLÉMENCE

Je lui donne une pièce mais elle roule au sol

VICTOR

Adieu

CLÉMENCE

Le clochard en se penchant laisse échapper de sous son manteau…

VICTOR
retire le pendentif, le laisse à Victor et part avec Clémence

Le pendentif

VICTOR
prend le pendentif

Victor

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