Une scène vide sans décor
BRISÉIS
en coulisse
Laquelle, la princesse ou la bénédictine ?
POMPON
les mains en porte-voix
La princesse vieille
BRISÉIS
entre tenant sa canne comme un sceptre
C’est qui la niaise ?
POMPON
C’est la princesse mais elle n’a pas l’air vieille
VICTOR
Ouille-aïe-aïe !
Elle n’a pas l’air commode
POMPON
Tiens, il parle arabe lui aussi
JAMAL
Plutôt clic-clac que commode, mais joli galbe
BRISÉIS
J’ai croisé Clémence en coulisse
Elle veux que je répète toutes les scènes avec Victor
POMPON
Clémence ?
BRISÉIS
La maitresse
JAMAL
Victor est aux urgences, un « colocataire » le remplace
VICTOR
timide avec Briséis
Avec les filles, j’avance en mode naïf
Je n’ai encore jamais embrassé avec la langue
BRISÉIS
sans voix, bouche bée
Le décor ?!
POMPON
Maitresse Clémence nous a demandé de le monter avant son retour
Des semaines à le peindre, peine perdue
JAMAL
Trois panneaux en bois de pin peints
POMPON
Une surface de douze litres chacun
BRISÉIS
Soit une grande surface en mètres carrés
VICTOR
Le bois ça boit
JAMAL
Une vraie tartine de pain
BRISÉIS
Description du chef-d’œuvre
POMPON
Côté jardin :
Les vignes de Montmartre baignées de soleil, les vendanges avec les confréries de vignerons et les Poulbots, les ailes des moulins qui mêlent dans le ciel leur silhouette à celle du Sacré-Cœur
JAMAL
Et des mouettes
POMPON
J’aime bien les mouettes
BRISÉIS
J’en reste muette
VICTOR
Les mains moites
POMPON
Côté cour :
Le cabaret du Lapin Agile, Picasso penché à la fenêtre, Apollinaire… le poète, avec le père Frédé et son âne Lolo dans l’enclos
JAMAL
Et des cigognes
POMPON
J’aime bien les cigognes
BRISÉIS
Sauf quand on s’y cogne
VICTOR
Ça met en rogne
POMPON
Et au lointain :
Les arbres élégants, les arbustes touffus, le maquis comme une forêt vierge
JAMAL
Et des Satyres
POMPON
J’aime bien les Satyres
VICTOR
La forêt vierge, le satyre ça l’attire
BRISÉIS
Attention ça tire à la satire
POMPON
Où êtes-vous mes beaux panneaux ?
JAMAL
Victor doit le savoir
VICTOR
Affirmatif !
J’ai pris le clochard en train… d’échanger des planches de pin contre des caisses de vin et une liasse de billets
POMPON
Des billets de train ?
VICTOR
Paris-Brest !
Il parle tout le temps de Paris-Brest, de baba au rhum et de galette
BRISÉIS
C’est pas du gâteau notre affaire
JAMAL
Un clochard pour jouer le rôle d’un clochard…
Sans vouloir gloser
VICTOR
Pourquoi lui ?!
BRISÉIS
Il mendiait devant la Basilique du Sacré-Cœur
Clémence lui a fait l’aumône à la sortie de la messe de Noël, puis elle l’a secouru
Le misérable errait ivre mort dans le square Roland Dorgelès
POMPON
Je m’en vais les lui toucher ses deux mots au clochard
BRISÉIS
Visez juste, il put et il a bu
VICTOR
L’abus d’alcool
JAMAL
Prudence
POMPON
Je suis prudente comme un roseau
VICTOR
C’est prudent le roseau ?
BRISÉIS
C’est souple
JAMAL
Et c’est discret
BRISÉIS
Profitez-en pour dire à Briséis d’enfiler son costume et de nous rejoindre
Elle se promène moitié nue dans les loges
JAMAL
Il peut s’en charger
POMPON
Laquelle Briséis ?
BRISÉIS
L’autre
POMPON
presque sortie
La bénédictine jeune
JAMAL
Il devrait peut-être l’accompagner
POMPON
revient
C’est quoi une bénédictine ?
BRISÉIS
Une bonne sœur
POMPON
Une bonne sœur jeune, une bonne sœur jeune…
Je joue de malchance : hier, on me dérobe mes ébauches d’étiquettes pour les bouteilles de la prochaine vendange, maintenant mes peintures
BRISÉIS
Cocasse
POMPON
sort
Cocasse toi même
VICTOR
Quelle plaie ce clochard
JAMAL
Lui les plaies, il les referme, il les cautérise, il les suture, avec un point tellement serré que quand il ouvrira la bouche, il aura les jambes qui se plient et les bras qui se lèvent
BRISÉIS
Comme il fait son bonhomme